Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/48

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Pierres-Précieuses. Mais le spectacle qu’offrait le fleuve, tout couvert d’embarcations pavoisées et ornées de fleurs, était incomparable. Il y avait de grandes jonques dorées et pourpres, avec leur voile, en paille de bambou, déployée comme un éventail, leurs mâts portant des banderoles, et leur avant bombé, figurant une tête géante de poisson, ouvrant de gros yeux fixes ; toutes sortes de barques, des sampans, des radeaux supportant des tentes de soie et qui semblaient des kiosques flottants, tous chargés à sombrer d’une foule joyeuse et bruyante, d’orchestres et de chanteurs qui jouaient et chantaient alternativement.

Des salves d’artillerie, dont le tonnerre n’eût pas égalé le bruit, éclatèrent quand le roi parut, et le peuple poussa une acclamation tellement formidable que je serais mort de peur, si je n’avais pas été déjà habitué à ne m’étonner de rien.

La canonnière qui devait nous emmener dans l’Inde fumait devant un embarcadère magnifiquement décoré. C’était là qu’il fallait se séparer. Le roi et les fiancés descendirent de leurs éléphants. Les Mandarins firent la haie et tout le peuple se tut pour écouter.

Alors le roi, maître sacré des Têtes, Maître sacré des Existences, Possesseur de Tout, Seigneur des Éléphants Blancs, Souverain Très Haut, Infaillible et Infiniment Puissant, fit un discours, tout en mâchant du bétel, qui lui ensanglantait la bouche et l’obligeait à cracher dans un bassin d’argent que tenait un esclave.

Le prince, à genoux devant son royal beau-père, fit un autre discours, moins long que le premier, et en ne mâchant rien. La fiancée pleurait dans ses voiles.

Il fallut s’embarquer, et il y eut un peu de confusion, à cause des nombreuses caisses en bois de tek, et des chevaux que l’on emmenait et que ma présence effrayait beaucoup.

Un long sifflement se fit entendre, les musiques jouèrent, le canon tonna, une oscillation me donna le vertige et le rivage s’éloigna.