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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

qu’il ne connaît pas, l’homme que tu aimes le mieux au monde, et à qui tu as tout sacrifié ! comme il te déshabille sans pudeur, et te livre effrontément toute nue aux regards avinés de ses camarades, pendant que tu es là, triste, le menton dans la main, l’œil tourné vers le chemin par où il doit revenir !

Si quelqu’un était venu te dire que ton amant, vingt-quatre heures peut-être après t’avoir quittée, courtisait une ignoble servante et qu’il s’était arrangé pour passer la nuit avec elle, tu aurais soutenu que cela n’était pas possible, et tu n’aurais pas voulu le croire ; à peine aurais-tu ajouté foi à tes yeux et à tes oreilles : cela était pourtant.

La conversation dura encore quelque temps, la plus folle et la plus dévergondée du monde ; mais, à travers toutes les exagérations bouffonnes, les plaisanteries souvent ordurières, perçait un sentiment vrai et profond de parfait mépris pour la femme, et j’en appris plus dans cette soirée qu’en lisant vingt charretées de moralistes.

Les choses énormes et inouïes que j’entendais donnaient à ma figure une teinte de tristesse et de sévérité dont le reste des convives s’aperçut et dont on me fit obligeamment la guerre ; mais ma gaieté ne put revenir. — J’avais bien soupçonné que les hommes n’étaient pas tels qu’ils apparaissaient devant nous, mais je ne les croyais pas encore aussi différents de leurs masques, et ma surprise égalait mon dégoût.

Je ne voudrais, pour corriger à tout jamais une jeune fille romanesque, qu’une demi-heure d’une pareille conversation ; — cela lui vaudrait mieux que toutes les remontrances maternelles.

Les uns se vantaient d’avoir autant de femmes qu’il leur plaisait, et que pour cela ils n’avaient qu’un mot