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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

à dire ; les autres se communiquaient des recettes pour se procurer des maîtresses ou dissertaient sur la tactique à suivre dans le siége d’une vertu ; quelques-uns tournaient en ridicule les femmes dont ils étaient les amants, et se proclamaient les plus francs imbéciles de la terre de s’être ainsi acoquinés auprès de semblables guenipes. — Tous faisaient très-bon marché de l’amour.

Voilà donc la pensée qu’ils nous cachent sous tant de beaux semblants ! Qui le dirait jamais à les voir si humbles, si rampants, si prêts à tout ? — Ah ! qu’après la victoire ils relèvent la tête hardiment et mettent insolemment le talon de leurs bottes sur le front qu’ils adoraient de loin et à genoux ! comme ils se vengent de leur abaissement passager ! comme ils font chèrement payer leurs politesses ! et par combien d’injures ils se reposent des madrigaux qu’ils ont faits ! Quelle brutalité forcenée de langage et de pensée ! quelle inélégance de manières et de tenue ! — C’est un changement complet et qui n’est certes pas à leur avantage. Si loin qu’eussent été mes prévisions, elles étaient bien au-dessous de la réalité.

Idéal, fleur bleue au cœur d’or, qui t’épanouis tout emperlée de rosée sous le ciel du printemps, au souffle parfumé des molles rêveries, et dont les racines fibreuses, mille fois plus déliées que les tresses de soie des fées, plongent au profond de notre âme avec leurs mille têtes chevelues pour en boire la plus pure substance ; fleur si douce et si amère, on ne te peut arracher sans faire saigner le cœur à tous ses recoins, et de la tige brisée suintent des gouttes rouges, qui, tombant une à une dans le lac de nos larmes, nous servent à mesurer les heures boiteuses de notre veille mortuaire près du lit de l’Amour agonisant.

Ah ! fleur maudite, comme tu avais poussé dans mon