Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
293
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

On s’habitue bien vite à regarder ses souhaits comme des réalités sur la foi des plus fugitives apparences, et je devins tout sombre quand Théodore reparut sous son costume d’homme, plus sombre que je ne l’étais auparavant ; car la joie ne sert qu’à mieux faire sentir la douleur, le soleil ne brille que pour mieux faire comprendre l’horreur des ténèbres, et la gaieté du blanc n’a pour but que de faire ressortir toute la tristesse du noir.

Son habit était le plus galant et le plus coquet du monde, d’une coupe élégante et capricieuse, tout orné de passe-quilles et de rubans, à peu près dans le goût des raffinés de la cour de Louis XIII ; un chapeau de feutre pointu, avec une longue plume frisée, ombrageait les boucles de ses beaux cheveux, et une épée damasquinée relevait le bas de son manteau de voyage.

Cependant il était ajusté de manière à faire pressentir que ces habits virils avaient une doublure féminine ; quelque chose de plus large dans les hanches et de plus rempli à la poitrine, je ne sais quoi d’ondoyant que les étoffes ne présentent pas sur le corps d’un homme ne laissaient que de faibles doutes sur le sexe du personnage.

Il avait une tournure moitié délibérée, moitié timide, on ne peut plus divertissante, et, avec un art infini, il se donnait l’air aussi gêné dans un costume qui lui était ordinaire, qu’il avait eu l’air à son aise dans des vêtements qui n’étaient pas les siens.

La sérénité me revint un peu, et je me persuadai de nouveau que c’était bien effectivement une femme. — Je repris assez de sang-froid pour remplir convenablement mon rôle.

Connais-tu cette pièce ? peut-être que non. Depuis quinze jours que je ne fais que la lire et la déclamer, je