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JULES JANIN.

chameau ou à un câble de passer par le trou d’une aiguille.

Enfin voilà le feuilleton installé sous la coupole du palais Mazarin ! Nous en sommes très-heureux pour notre part, car c’est une victoire et un triomphe dont les frères du Lundi ont le droit de s’enorgueillir. « Du Boucher, n’en fait pas qui veut, » disait David, le peintre sévère, en entendant dénigrer ce peintre facile par de faux dédaigneux. Le feuilleton ! c’est bientôt dit, et là-dessus on secoue la tête d’un air superbe ; mais nous voudrions y voir condamnés, non pas à perpétuité, di talem avertite casum ! cinq ans suffiraient, les graves, les sérieux, les difficiles, les sobres, les solennels, les savantasses, tous les gâcheurs d’ennui compact, ornement des revues, qu’on aime mieux admirer que lire, les inféconds qui se font une gloire de leur stérilité, érigeant en mérite la rétention de style !

En effet, c’est une œuvre facile et commode que le feuilleton de théâtre ! Improviser toutes les semaines quatre ou cinq cents lignes sur les sujets les plus divers et les plus inattendus, et des lignes imagées, brillantes, « saupoudrées d’infiniment de traits d’esprit, » comme un critique le conseillait à ce monsieur pour son cinquième acte un peu faible, des lignes d’une correction rapide et certaine dans leurs jets impétueux, pleines de ces bonheurs qu’on ne retrouve pas en les cherchant, tour à tour ironiques et enthousiastes, mêlant à la pensée des autres la fantaisie et la personnalité de l’écrivain, il faut pour y suffire avoir vraiment le diable au corps ! Aussi, dans ce siècle où abondent les poètes, les historiens, les romanciers, les dramaturges, les gloires de feuilletonistes sont-elles les plus rares :

Il en est jusqu’à trois que nous pourrions compter.