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Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/34

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d’admiration intelligente, elle se souvenait de l’avoir vu chez madame de Beauharnais, avec qui elle était liée, jeune officier inconnu, au maigre profil, aux cheveux plats, blêmi par la pensée, dévoré par le génie, et non encore passé à l’état de dieu comme un César romain, ou un Alexandre après la conquête de Babylone. À cause de ses rapports antérieurs, l’empereur lui masquait moins l’homme que pour tout autre, et c’était dans ce sentiment qu’elle puisait la hardiesse de ses réponses. Son salon était, d’ailleurs, le refuge de l’aristocratie non ralliée ; tous les illustres mécontents, tous les glorieux boudeurs, y étaient courageusement reçus, quoiqu’il y eût alors quelque péril à cela. Entre les noms que nous pourrions rappeler, citons celui de M. de Laval, qui s’en est si bien souvenu plus tard, sous la Restauration, lorsque ambassadeur à Rome, il reçut madame Gay et sa fille Delphine, avec l’accueil le plus hospitalier, et leur fit cordialement les honneurs de la ville éternelle.

La société, pour être nombreuse, n’en était pas moins choisie. Dépassant le vœu de Socrate, madame Sophie Gay avait su remplir d’amis une grande maison. Parmi les habitués on remarquait : Benjamin Constant, l’auteur d’Adolphe, le duc de Broglie, le spirituel et toujours spirituel M. de Pontécoulant, M. de Chateaubriand, le duc de Choiseul, M. de Lamoignon, le duc de Léri, le profond Regnauld de Saint-Jean d’Angely, Népomucène Lemercier, le poëte d’Agamemnon et de la Panhypocrisiade, le plus charmant conteur qui fut jamais ; le comte de Forbin, l’élégance même ; le comte de Perrégaux, le comte Germain, M. Jouy, M. Dupaty, Alexandre Duval, tous les beaux de la littérature et du monde. À la fête d’Alexandre Duval, madame Sophie Gay joua une comédie impromptue, dont les acteurs étaient Boïeldieu, le prince de Chimay, la Grassini, d’Alvimare et Talma