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Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/35

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qui, pour la première fois de sa vie fit un rôle bouffe, lui, le roi des noires terreurs et des épouvantements tragiques. Madame Gay se faisait remarquer par une finesse, un esprit et un accent comique admirable. Elle réussissait à la scène comme partout : aussi une de ses amies disait-elle, avec une légère nuance de jalousie admirative : « Est-elle heureuse, cette madame Gay, elle fait tout bien, les enfants, les livres et les confitures ! »

C’était une charmante vie. Madame Sophie Gay avait sa loge à l’Opéra et au Théâtre-Français, qu’elle suivait avec une attention et un intérêt extrêmes, et dont elle connaissait et recevait toutes les célébrités, mademoiselle Contât, mademoiselle Mars, mademoiselle Duchesnois, Talma, dont nous avons parlé tout à l’heure ; plus tard, elle eut aussi un commerce d’admiration et d’amitié avec mademoiselle Rachel, dont le talent et la personne lui étaient juvénilement sympathiques, car elle ne faisait pas, comme le vieillard d’Horace, l’éloge perpétuel du temps passé. En rentrant chez elle, elle trouvait des attentifs autour de la cheminée ; on causait, on riait, on faisait de la musique, car madame Gay jouait à livre ouvert toutes les partitions, composait agréablement, et plusieurs de ses romances sont devenues populaires, Mieris lui seul a quitté le village se chante encore. Elle avait, en outre, un tel talent d’accompagnatrice, que lorsque Garât, le célèbre chanteur, si connu par ses cravates à la mode du Directoire, ses gilets prodigieux et son zézaiement d’incroyable, l’apercevait dans un concert, même public, il s’arrêtait soudain au milieu du morceau, et déclarait qu’il ne chanterait point « si la petite ne l’accompagnait. » Il fallait que madame Sophie Gay, pour satisfaire au caprice du fantasque virtuose, gagnât le piano à travers la foule des spectateurs, s’il n’y avait pas quelque dégagement plus facile. Jamais les vo-