Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/38

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nues, des langueurs et des mélancolies exprimées dans un style pur et timide, évitant l’effet et presque en sous-entendu. Cette contradiction qu’on retrouve chez beaucoup d’auteurs entre leur caractère et leurs œuvres, n’est qu’apparente. — L’homme est double — Homo duplex. — La femme peut être triple. Une femme du monde très-répandue écrira souvent des romans de pensionnaire, et l’on ne doit pas oublier que l’auteur d’Estelle et Némorin était un capitaine de dragons. Une réalité brillante, un idéal naïf ne sont pas incompatibles. L’un de ces romans, Anatole, fut, rencontre bizarre ! le dernier livre que l’empereur lut en France. Il abrégea la nuit d’insomnie qui précéda les adieux de Fontainebleau avec l’œuvre de madame Sophie Gay, et le matin il dit au baron Fain : « Voilà un livre qui m’a distrait cette nuit. » L’esprit est donc parfois bon à quelque chose, ne fût-ce qu’à donner des ailes aux heures mauvaises ? Ce fait curieux est attesté par les mémoires de l’époque, et, le volume depuis magnifiquement relié, est resté aux mains du baron Fain, qui le conserve précieusement dans sa bibliothèque comme une relique.

Sous la Restauration, madame Sophie Gay continua d’écrire, mêlant la vie d’études et de plaisirs, et quittant parfois le salon pour le cabinet de travail. Toutes ses nuits ne se passaient pas au bal, comme l’attestent Théobald, le Moqueur amoureux, la Physiologie du ridicule et les Malheurs d’un amant heureux, qui parurent d’abord sans nom, et qui furent successivement attribués à toutes les célébrités du temps. Après le roman, elle aborde la scène et donne au Théâtre-Français le Marquis de Pomenars, qui eut beaucoup de succès, et une comédie en cinq actes et en vers, intitulé Faste et misère, qui n’a pas été jouée, et dont la scène capitale est un père qui vient chez la maîtresse de son fils l’engager à renoncer