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SOPHIE GAY.

d’elle-même à son amour, qui ne peut manquer d’être malheureux. Situation qui, ébruitée par des lectures, a fait depuis le succès de dix drames, sans parler de la Dame aux Camélias.

Son salon était toujours aussi brillant : de nouvelles figures s’y étaient glissées parmi les anciennes : Victor Hugo, sacré enfant sublime par Chateaubriand, et alors âgé de dix-neuf ans, y installait l’école nouvelle. Alexandre Soumet y lisait Saül, Lamartine, le Lac, Alfred de Vigny, Dolorida, Frédéric Soulié, qui cultivait encore la muse, les Amours des Gaules, Sue, Kernock le pirate, Balzac, la Peau de chagrin ; plus tard, Jules Janin y lut Barnave ; Alexandre Dumas y vint aussi à son tour. Balzac, qui n’avait fait que de mauvais romans sous les pseudonymes de lord Rhoone, de Villerglé, Horace de Saint-Aubin, dut à madame Gay un grand nombre des anecdotes et des fines observations qui contribuèrent puissamment au succès de ses ouvrages.

Des peintres se mêlaient aux poëtes : Gérard, Girodet, Isabey, Horace Vernet, dont madame Sophie Gay avait connu le père ; Hersent, qui fit de mademoiselle Delphine Gay un beau portrait qui fut remarqué à l’exposition de l’association des artistes. — Tête blonde, œil inspiré, écharpe de gaze bleue, et que, par une touchante anticipation d’orgueil maternel, madame Gay a légué au Musée de Versailles, où sa place sera marquée un jour ; Auber s’asseyait au piano sur le tabouret laissé vide par Délia Maria et Paër ; d’autres fois, c’était Meyerbeer faisant gronder les touches sous quelques-unes de ses puissantes harmonies ; Thiers, encore inconnu, se faisait présenter par Buchon, le savant auteur des Recherches sur la principauté française en Morée ; madame Gay était aussi très-liée avec Delatouche, le gracieux et caustique railleur, l’ermite de la vallée aux Loups, qu’elle