Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/189

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couraient devant et derrière un catafalque porté à bras, et qu’on distinguait vaguement dans le brouillard fauve du funèbre luminaire ; l’un d’eux faisait tinter une clochette, et tous grommelaient, à bocca chiusa, sous la barbe de leur masque, les prières des morts, sur un rhythme étouffé et haletant. Quelquefois, un autre spectre noir sortait d’une maison, et se joignait en hâte au sombre troupeau, qui disparut bientôt au tournant du carrefour. C’était une confrérie de pénitents noirs qui, suivant l’usage, escortaient un enterrement.

Cette lugubre vision nous remet en mémoire les vers de Brizeux, le poëte de Marie et des Bretons, le Celte naturalisé à Florence, qui nous prouve qu’il avait été frappé comme nous de ce spectacle inattendu et avait éprouvé une impression pareille à la nôtre. Nous les transcrivons ici comme complément de notre croquis nocturne.

À coups redoublés, le hargelle sonne,
Mon pâle voisin quitte le café.
Toujours plus bruyant le tocsin résonne.
Un autre s’en va… Qu’est-il arrivé ?

— Seigneur, nous logeons dans la même auberge.
Quels sont ces gens noirs couverts jusqu’aux yeux ?
Pour porter des morts et tenir un cierge,
Leurs doigts sont bien blancs ! Je suis curieux.