Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/288

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leur donner la même valeur, que ce fût un roi ou un pauvre, une guenille ou un manteau de velours, un tesson d’argile ou un casque damasquiné d’or, une délicate infante ou un monstre gibbeux et bancal. La beauté et la laideur lui semblent indifférentes, il admet la nature telle qu’elle est et ne poursuit aucun idéal ; seulement, il rend les belles choses avec la même perfection que les vilaines, en quoi il diffère de nos réalistes actuels. Si une belle femme pose devant lui, il en rendra toutes les grâces, toutes les élégances, toutes les délicatesses. Son pinceau, qui, chargé de bitume, hâlait et encrassait la trogne d’un vagabond, trouvera pour les joues de la beauté des pâleurs nacrées, des rougeurs de rose, des duvets de pêche, des suavités sans pareilles. C’est le peintre de l’aristocratie et le peintre de la canaille ; il est aussi admirable au palais que dans la cour des Miracles. Mais ne lui demandez pas de scènes mythologiques, ni même, chose rare pour un peintre espagnol, de scènes de sainteté. Pour avoir toute sa force, il faut, comme Antée, qu’il touche la terre, mais alors il se relève avec toute la vigueur d’un titan.

Nous n’avons pas la place de parler ici en détail des Forges de Vulcain, de la Reddition de Breda (le tableau dit des Lances), du Mercure endormant Argus, de las