Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/46

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s’appuyant l’un l’autre avec une insistance formidable ; quels logiciens serrés ! ils donnent raison sur raison. La première série d’arguments épuisée, l’autre recommence, et ainsi de suite. Une lueur crève dans un nuage blanc, un coup de foudre se fait entendre, et bientôt tout le flanc du navire est couvert, comme le flanc d’une montagne, de vapeurs bleuâtres qui rampent indécises jusqu’à ce que le vent les emmène  ; dans une bordée, vue de face, la flamme du canon tournoya comme un orbe de feu s’élargissant à travers la fumée. Une autre fois, le soleil, se trouvant de l’autre côté du nuage produit par la salve, apparut comme un grand bouclier rougi à la forge ; éclairées ainsi, les fumées prenaient des tons roux et fauves d’une richesse extrême, et sur l’eau scintillaient des iris et de folles bluettes comme sur le métal en fusion. Le corps sombre du navire faisait valoir ce flamboiement par une opposition vigoureuse. Nous livrons cet effet observé par nous aux peintres de marine, à lsabey, à Gudin, à Morel-Fatio, à Durand-Brager. C’est un joli motif.

Que diraient de ce fracas ceux qui reprochent l’abus des cuivres aux musiciens modernes ? Ils trouveraient sans doute le diapason trop élevé ; mais le bruit porté à cette intensité est, par lui-même, une chose magnifique, puis-