Page:Gautier - Souvenirs de théâtre d’art et de critique.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lune d’hiver. Jean-Paul Richter, bon juge assurément en pareille matière, a dit que ses ouvrages produisaient l’effet d’une chambre noire et que l’on voyait s’y agiter un microcosme vivant et complet. Ce sentiment profond de la vie, quoique souvent bizarre et dépravé, est un des grands mérites d’Hoffmann et le place bien au-dessus des nouvellistes ordinaires, et, sous ce rapport, ses contes sont plus réels et plus vraisemblables que beaucoup de romans conçus et exécutés avec la plus froide sagesse. — Dès que la vie se trouve dans un ouvrage d’art, le procès est gagné, car il n’est pas difficile de pétrir de l’argile sous toute espèce de forme ; le beau est de ravir au ciel ou à l’enfer la flamme qui doit animer ces fantômes de terre : depuis Prométhée on n’y a pas souvent réussi.

La plupart des contes d’Hoffmann n’ont rien de fantastique, Mademoiselle de Scudéry, le Majorat, Salvator Rosa, Maître Martin et ses apprentis, Marino Faliero, sont des histoires dont le merveilleux s’explique le plus naturellement du monde, et ces histoires sont assurément les plus belles de toutes celles qui lui font le plus d’honneur. — Hoffmann était un homme qui avait vu du monde et de toutes les sortes ; il avait été directeur de théâtre et il avait longtemps vécu dans l’intimité des comédiens : dans sa vie ambulatoire et agitée, il dut voir et apprendre beaucoup. Il passa par plusieurs conditions ; il eut de l’argent et n’en eut pas ; il connut l’excès et la privation ; outre l’existence idéale, il eut aussi une existence réelle, il mêla la rêverie à l’action, il mena enfin la vie d’un homme et non celle d’un littérateur. C’est une chose facile à comprendre et qu’on devinerait, si sa vie était inconnue, à la foule de physionomies différentes, évidemment prises sur nature,