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Page:Gautier - Souvenirs de théâtre d’art et de critique.djvu/53

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mettre le pied dans un salon, il s’est adressé à un tailleur plein de goût, à M. Loëve-Weimar, qui lui a confectionné un frac à la dernière mode avec lequel il s’est présenté dans le monde et s’est fait bien venir des belles dames. Peut-être qu’avec ses habits allemands il eut été consigné à la porte, mais maintenant que la connaissance est faite et que tout le monde sait que c’est un homme aimable et seulement un peu original, il peut reprendre sans danger son costume national. — Nous commençons à comprendre qu’il vaut mieux laisser au Charrua et à l’Osage leur peau tatouée de rouge et de bleu que de les écorcher pour les mettre à la française. Le temps n’est plus des belles infidèles de d’Ablancourt, et un traducteur serait mal venu de dire qu’il a retranché, transposé ou modifié tous les passages qui ne se rapportent point au goût français ; il faudrait plutôt suivre dans une traduction le procédé précisément inverse, car si l’on traduit, c’est pour enrichir la langue de pensées, de phrases et de tournures qui ne s’y trouvent pas.

M. Massé Egmont a parfaitement compris son rôle de traducteur et n’a pas cherché à substituer l’esprit qu’il a à celui d’Hoffmann ; il a traduit en conscience le mot sous le mot et dans un système de littéralité scrupuleuse. J’aime beaucoup mieux un germanisme de style qu’une inexactitude. Une traduction, pour être bonne, doit être en quelque sorte un lexique interlinéaire ; d’ailleurs c’est une fausse idée de croire que l’élégance y perde, et quand elle y perdrait, c’est un sacrifice qu’il faudrait faire. Un traducteur doit être une contre-épreuve de son auteur ; il doit en reproduire jusqu’au moindre petit signe particulier, et comme l’acteur à qui l’on a confié un rôle, abdiquer complètement sa personnalité