Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/184

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tion. Vos âmes se pénétreront par la pensée et le désir, sans aucun signe extérieur. »

Jack vint annoncer que le déjeuner était servi. Malivert, tout bouleversé de cette aventure étrange, de cette bonne fortune d’outre-tombe que don Juan eût enviée, touchait à peine les morceaux placés devant lui. Le baron de Féroë mangeait, mais avec une sobriété swedenborgienne, car celui qui veut vivre en commerce avec les esprits doit atténuer autant que possible la matière.

« Vous avez là d’excellent thé, dit le baron ; du thé vert à pointes blanches, cueilli après les premières pluies du printemps, et que les mandarins boivent sans sucre, à petites gorgées, dans des tasses enveloppées de filigrane de peur de se brider les griffes. C’est la boisson par excellence des songeurs, et l’excitation qu’elle produit est tout intellectuelle. Rien ne secoue plus légèrement la pesanteur humaine et ne prédispose mieux à la vision des choses que le vulgaire ne voit pas. Puisque vous allez maintenant vivre dans une sphère immatérielle, je vous recommande ce breuvage. Mais vous ne m’écoutez pas, mon cher Guy, et je conçois votre distraction. Une situation si nouvelle doit vous préoccuper étrangement.

— Oui, je l’avoue, répondit Malivert, je suis dans une sorte d’ivresse, et je me demande à chaque instant si je ne suis pas en proie à quelque hallucination.