Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/201

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regarder les papiers étalés sur le bureau, respirer les fleurs des jardinières, ouvrir les livres, remuer les bagues dans la coupe d’onyx posée sur la cheminée, et se livrer aux enfantillages de passion que se permet une jeune fille entrée par hasard dans la chambre de son fiancé.

Spirite se plaisait à se montrer aux yeux de Guy telle qu’eût été Lavinia en pareille situation si le sort eût favorisé son amour ; elle refaisait, après la mort, son chaste roman de pensionnaire chapitre par chapitre. Avec un peu de vapeur colorée elle reproduisait ses toilettes d’autrefois, plaçait dans ses cheveux la même fleur ou le même ruban. Son ombre reprenait les grâces, les attitudes et les poses de son corps virginal. Elle voulait, par une coquetterie prouvant que la femme n’avait pas totalement disparu chez l’ange, que Malivert l’aimât non seulement d’un amour posthume adressé à l’esprit, mais comme elle était pendant sa vie terrestre, quand elle cherchait aux Italiens, au bal, dans le monde, l’occasion toujours manquée de le voir.

Si ses lèvres n’eussent effleuré le vide quand, transporté de désir, fou d’amour, ivre de passion, il s’oubliait à quelque inutile caresse, il aurait pu croire que lui, Guy de Malivert, avait réellement épousé Lavinia d’Aufideni, tant, parfois, la vision devenait nette, colorée et vivante. Dans une consonnance parfaite de sympathie, il enten-