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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/120

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Georges.

Je ne regrette rien.Tu m’aimes donc beaucoup ?

Lavinia.

Certe, et je te le prouve en te sautant au cou.

Georges.

Enfant !… Mais tu n’es plus une petite fille,
Et tu me traites trop en père de famille.

Lavinia.

En père ! — Non, monsieur, mais en frère adoré ;
C’est un titre charmant, amical et sacré.

Georges.

Sans doute, mais l’on peut en trouver un plus tendre,
Et je te le dirais si tu voulais l’entendre.

Lavinia.

Je doute qu’il en soit un plus plein de douceur
Pour moi, jadis ta fille et maintenant ta sœur.

Georges.

Celui de mari ?

Lavinia.

Celui de mari ?Non ; je ne sens nulle envie
De laisser pénétrer brusquement dans ma vie
Cet inconnu d’hier, époux du lendemain,
Qui pose à tout hasard votre main dans sa main.
Un frère vaut bien mieux, surtout s’il te ressemble.
Le monde est comme un livre où nous lisons ensemble,
Fronts penchés l’un vers l’autre et mêlant nos cheveux.
Tu connais mes secrets, je devine tes vœux ;
Il existe entre nous de longues sympathies,
Une communauté de choses ressenties,
Des souvenirs d’un charme intime et pénétrant
Où le présent qui rêve au passé se reprend ;
L’époux ignorerait ma vie antérieure,
Toute une part de moi, peut-être la meilleure :