Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/177

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Gaie, alerte, l’œil vif comme une Colombine :
La femme est une chatte, et sa griffe nous tient ;
Une souris est donc un présent qui convient.

Colombine.
Un écrin me plaît mieux que trente souricières ;
Je vous en avertis, ce sont là des manières
À ne réussir point près des cœurs délicats,
Et vous vous brouillerez avec messieurs les chats.

Arlequin.
Cette pauvre souris, tournant dans cette boîte,
Représente mon âme allant à gauche, à droite,
S’agitant sans repos dans la captivité
Où depuis si longtemps la tient voire beauté ;
C’est mon cœur : prenez-le, Colombine fantasque,
Car je pâlis d’amour sous le noir de mon masque,
Je maigris, desséché par le feu des désirs,
Et les moulins à vent tournent à mes soupirs.

Colombine.
Arlequin, quoi ! c’est vous qui tenez ce langage ?
À ma pudicité cessez de faire outrage !
Renfoncez vos soupirs, n’ajoutez pas un mot,
Et respectez en moi la femme de Pierrot !

Arlequin.
Mais Pierrot, délaissant les rives de la Seine,
Dont l’habitation lui devenait malsaine,
A fait rencontre, en mer, de pirates d’Alger,
Et vu d’un nœud coulant son destin s’abréger.
Ne pouvant pas payer de rançon aux corsaires,
Il trouva la potence en fuyant les galères.

Colombine.
En ce bas monde, hélas ! nul n’évite son sort !

Arlequin.
Donc je puis vous aimer ; car la femme d’un mort
En tout pays du monde a qualité de veuve.