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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/234

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On s’amuse aux archers rossant Polichinelle,
Et les garçons tailleurs s’acceptent sans dédain
En cadence apportant l’habit neuf de Jourdain.
Le bon goût ne va pas prendre non plus la mouche
Pour quelques entrechats battus par Scaramouche.
Seulement, direz-vous, ces fantoches connus
Sont traditionnels, et, partant, bien venus.
Leur visage est coulé dans le pur moule antique,
Et l’Atellane jase à travers leur pratique ;
Même pour des bouffons, l’avantage est certain
De compter des aïeux au nom grec ou latin.
Nous autres par malheur, nous sommes des modernes,
Et chacun nous a vus, sous le gaz des lanternes,
Au coin du boulevard, en guise d’Évohé,
Criant à pleins poumons : « Ohé, c’te tête, ohé ! »
Pierrettes et Pierrots, débardeurs, débardeuses
Aux gestes provocants, aux poses hasardeuses,
Dans l’espoir d’un souper que le hasard paîra,
Entrer comme une trombe au bal de l’Opéra.
Pardon, si nous voilà dans cette noble enceinte
Grisés de paradoxe, intoxiqués d’absinthe,
Près des masques sacrés, nous, pantins convulsifs ;
Aux grands ennuis il faut des plaisirs excessifs,
Et notre hilarité furieuse et fantasque,
En bottes de gendarme, un plumeau sur le casque,
Donnant à la folie un tam-tam pour grelot,
Aux rondes du sabbat oppose son galop.
Mais, hélas ! nous aussi, nous devenons classiques,
Nous, les derniers chicards et les derniers caciques,
Terreur des dominos, repliant le matin,
Chauves-souris d’amour, leurs ailes de satin.
Bientôt il nous faudra pendre au clou dans l’armoire
Ces costumes brillants de velours et de moire.
Le carnaval déjà prend pour déguisement