Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus un regard pour toi ! — Cette pensée afflige la Péri ; mais elle n’en persiste pas moins dans sa résolution de pousser l’aventure à bout.

SCÈNE II

Du fond du théâtre, de terrasse en terrasse, on voit accourir une figure blanche poursuivie par des eunuques, des zébecs, des noirs, des Albanais, agitant des sabres et des coutelas. À ce spectacle, les Péris s’arrêtent et semblent attendre l’événement avec anxiété. Leur reine surtout prend un vif intérêt à cette scène. — La figure se rapproche, et, franchissant une rue, elle saute d’un bond désespéré sur la plate-forme du palais d’Achmet. — C’est une esclave échappée du harem du pacha. Les noirs, arrivés au bord de la rue, hésitent à la franchir à cause de sa largeur, et un zébec, armant son fusil, ajuste l’esclave, qui cherche en vain à se cacher. — Le coup part et la fugitive tombe sur les dalles. Une idée subite traverse la tête de la Péri : elle veut tenter une épreuve sur le cœur d’Achmet. Grâce à sa puissance, elle va remplacer dans ce corps jeune et charmant l’âme qui vient de s’en échapper. Si elle se fait aimer sous cette forme et dans cette humble condition, plus de doute : l’orgueil n’est pour rien dans le désir de cette union idéale ; Achmet sera digne d’être transporté dans le ciel féerique. La Péri se penche vers le corps de l’esclave : ailes, couronne, écharpe, tout disparaît, et l’incarnation se fait avec la rapidité de l’éclair. — Les autres fées s’envolent de différents côtés, et la Péri, que nous appellerons désormais Léïla, reste seule étendue sur le marbre avec l’apparence et les habits de l’esclave.