Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/321

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boiteux de Bâle en Suisse. Bridoux, qui redoute une ruse, tire son sabre et menace Job, qui, naturellement poltron et ayant peur des coups plus que de toute autre chose, se sauve avec des pieds de cerf, d’autruche et de gazelle, aussi vite que pourrait le faire Almanzor, le coureur dératé de M. le marquis.

Vient le tour de François ; on l’appelle, et comme il n’y a pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, il reste immobile comme un bloc. Bridoux, qui est un vrai saint Thomas militaire, fait avancer un trompette qui fait éclater brusquement dans l’oreille du jeune homme une fanfare plus aigre, plus fausse, plus perçante que les clairons du Jugement dernier qui réveilleront les morts, et que les trombones bibliques qui ont renversé les murailles de Jéricho. François reste impassible : un coup de pistolet tiré inopinément derrière lui n’obtient pas plus de succès ; pas un de ses nerfs ne tressaille. Tout autre qu’un recruteur serait convaincu de la surdité de François : malheureusement Bridoux a plus d’une ruse dans son sac, et il en tire une des plus scélérates et des plus ingénieuses. — Toujours derrière le dos du jeune homme, il prend la taille de Pâquerette, et, malgré sa résistance, lui dérobe un baiser… sonore ! L’amoureux, qui était resté sourd aux appels du clairon et aux détonations d’armes à feu, entend ce petit bruit de lèvres et se retourne avec une vivacité jalouse : il a trahi son secret ! Il n’est pas plus attaqué de surdité que la princesse Fine-Oreille, qui entend l’herbe pousser dans les prairies. Bridoux se pavane et se rengorge, tout fier du succès de son stratagème, aussi artificieux qu’agréable. François est consterné, et Pâquerette se désole d’êlre la cause innocente du malheur de son amant.

On procède au tirage des numéros. Job, moins chanceux encore que le conscrit de Corbcil, qui avait eu le numéro 2, après avoir longtemps tourne les billets, amène le numéro 1.