Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/323

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petite troupe va se mettre en marche, lorsque François rentre tenant en main un sac d’argent qu’il donne à son père, que les recors relâchent aussitôt, et dit : « Je pars à la place de Job ! »

Cette nouvelle fait éclater la satisfaction la plus vive sur la grotesque face du fils de l’usurier, et la plus profonde douleur sur le charmant visage de Pâquerette. Le père Martin a toutes les peines du monde à contenir son attendrissement, heureux et fâché de ce sacrifice cruel, mais nécessaire.

« Tu me seras fidèle ! dit François à Pâquerette, qui cache sa tête et ses pleurs sur le sein de son amant. — Je te le jure ! Et toi, tu ne m’oublieras pas ? — Ta pensée me suivra partout, au bivouac et au champ de bataille… — Prends cette petite croix d’or attachée au collier gagné par ton adresse, et porte-la en souvenir de moi, » dit Pâquerette en sanglotant. François couvre de baisers ce gage de tendresse naïve, le serre dans sa poitrine, et va prendre place dans le rang ; la troupe part, commandée par Bridoux, tout heureux d’avoir sous ses ordres un beau et robuste garçon comme François, à la place de cet échalas de Job, incapable de faire la guerre même aux poules.

Tout guilleret et tout léger, Job s’approche de Pâquerette et lui offre un sucre d’orge pour adoucir l’amertume de cette séparation : Pâquerette ne fait pas la moindre attention aux galanteries de cet imbécile, qui pourtant se flatte de faire oublier François et de l’épouser. — Il n’y a que les sots qui aient si bonne opinion d’eux-mêmes, et souvent ils sont crus sur parole, lorsqu’ils sont riches. Mais il n’y a pas de danger ; Pâquerette n’est pas pour le nez de Job, fût-il dix fois plus bête et cent fois plus cossu.