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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/334

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À peine a-t-il les yeux fermés que son âme s’éveille dans son corps endormi, et que le monde du rêve commence à s’agiter autour de lui avec ses formes idéales.

Une vapeur grise se répand sur le théâtre ; les objets réels disparaissent, et trois figures mystérieuses sortent du sol, sorcières, fées ou larves, espèces d’introductrices qui mènent l’âme dans le pays des chimères, huissières à verge du monde fantastique. Elles s’avancent avec des gestes morts et des mouvements immobiles vers le jeune dormeur, dont elles délient la personnalité et qu’elles dédoublent du fantôme intérieur.

L’esprit de François cède à révocation, et quoique le corps reste couché sur le banc, une forme pareille à lui s’avance vers les sorcières.

— Que me voulez-vous ? dit le François fantastique aux étranges figures.

— Tu attends Pâquerette, ta fiancée ; elle ne viendra pas, mais si tu veux la voir nous allons te conduire près d’elle ; suis-nous.

François obéit ; mais à peine a-t-il fait quelques pas que la terre s’entr’ouvre sous ses pas et qu’il disparaît.

Les nuages, qui pendant cette scène ont amoncelé sur le théâtre leurs flocons opaques, se replient, se dissipent et s’envolent : les murailles enfumées de l’auberge ont disparu, et le regard tout à l’heure borné par de misérables obstacles plonge dans un océan d’or et d’azur, dans un infini lumineux. — Un paysage magique aux eaux de diamant, aux verdures d’émeraude, aux montagnes de saphir, étale ses perspectives bleues comme un Éden de Breughel de Paradis. Des femmes vêtues de robes de gaze blanche, où frissonnent des lueurs d’argent, comme des gouttes de rosée sur des ailes de libellules, sortent des touffes de roseaux et d’iris, ceinture verdoyante, féerique, et se groupent autour de Pâquerette, qui représente ici l’idéal, la nymphe des premières amours aussi rayonnante pour le paysan que pour le poëte.