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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/68

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LE CHEVALIER.

Cela n’est pas aimable. — Nous traiter ainsi, nous, vos meilleurs amis !

CÉLINDE.

Vous n’êtes pas mes amis, — je l’espère, — quoique vous remplissiez ma maison. Mes jours couleront désormais dans la retraite. Je ne veux plus voir personne.

LE DUC.

Personne, à la bonne heure ! mais moi, je suis quelqu’un.

CÉLINDE.

Laissez-moi vivre à ma guise. — Oubliez-moi, cela ne vous sera pas difficile. Assez d’autres me remplaceront : vous avez Daphné, Laurina, Lindamire, — tout l’Opéra, toute la Comédie. — On vous recevra à bras ouverts. — Je vous ai assez amusés ; j’ai assez chanté, assez dansé à vos fêtes et à vos soupers ; que me voulez-vous ? Vous avez eu ma gaieté, mon sourire, ma beauté, mon talent. Que ne puis-je vous les reprendre ! — Vous avez cru payer tout cela avec quelques poignées d’or. Ennuyez-vous tant qu’il vous plaira, que m’importe ? D’ailleurs, je ne vous amuserais guère : mon caractère a changé totalement. J’ai senti le vide de cette frivolité brillante. — Pour avoir trop connu les autres, le goût des plaisirs simples m’est venu. Je veux réfléchir et penser, c’est assez vous dire qu’il ne peut plus y avoir rien de commun entre nous.

LE CHEVALIER.

C’est Célinde qui parle ainsi ?

CÉLINDE.

Oui, moi. — Qu’y a-t-il donc là de si étonnant ? Cela ne me plaît plus de rire, je ne ris plus. Je ne veux voir personne, — je ferme ma porte, voilà tout.

LE COMMANDEUR.

Quel caprice singulier que d’éteindre, au moment de son plus vif éclat, un des astres les plus lumineux du ciel de l’Opéra !