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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/84

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reux selon le vœu de mon cœur. — Homme simple et vertueux, j’étais fait pour le bonheur des champs, et voici qu’un événement, que j’aurais dû prévoir, me rappelle à la ville. — Vous savez, Célinde, que, partageant les idées de Jean-Jacques, je formais à la vertu une jeune âme dans le sein d’une famille riche. Mon élève avait une sœur qui venait souvent écouter mes leçons ; comme Saint-Preux, mon modèle, mon héros, j’avais besoin d’une Julie pour admirer la lune sur le lac et me promener dans les bosquets de Clarens… Que vous dirai-je ? j’imitai si fidèlement mon type d’adoption, que bientôt ma Julie ne put cacher que, méprisant de vils préjugés, elle avait cédé aux doux entraînements de la nature, et se trouvait dans la position de donner un citoyen de plus à la patrie. Les parents, s’étant aperçus de l’état de leur fille, me sommèrent de réparer l’outrage fait à son honneur, en sorte que je me suis vu forcé de promettre d’épouser une héritière qui n’a pas moins de cent mille écus de dot… Cela n’est-il pas tout à fait contrariant pour moi, qui fais profession de mépriser les richesses et qui ne demande qu’un lait pur sous un toit de chaume ? Ô Célinde ! ne m’en voulez pas. Le destin impérieux m’entraîne, tâchez de m’oublier : vous êtes heureuse, vous, rien ne vous empêche de couler dans la retraite, au sein des plaisirs simples, des jours exempts d’orages.

« Adieu pour jamais,

« Le malheureux Saint-Albin. »
CÉLINDE.

Le scélérat ! comme il m’a trompée ! Oh ! j’étouffe de douleur et de rage !

LE DUC.

Qu’est-ce donc ?

CÉLINDE.

Lisez.