Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/281

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— MM. les ducs, marquis, vicomtes et chevaliers n’ont pas les mérites qu’il faut pour aimer de la sorte que madame désire.

— Tu crois ?

— Oh ! j’en suis sûre ; les femmes se jettent à leur tête par vanité, coquetterie ou intérêt : ils ont leurs poches pleines de poulets, de miniatures et de tresses de cheveux, et puis, comme dit madame, l’Opéra est un lieu terrible pour la commodité des soupirs.

— Ainsi, à ton avis, Justine, les gens de qualité ne sont point capables d’une flamme au goût dont je la voudrais ?

— En aucune façon ; et, à moins que madame la marquise ne déroge, j’ai bien peur qu’elle ne puisse se satisfaire l’imagination.

— Déroger ! y penses-tu, Justine ?

— Ce n’est point un conseil que je donne, c’est une réflexion que je fais.

— Je ne saurais descendre plus bas qu’un baron.

— Les barons manquent totalement de naïveté, et il y en a qui sont pires que des ducs.

— Eh bien ! je choisirai mon soupirant parmi les écuyers.

— Les écuyers se font si retors par les morales qui courent !

— Je ne puis cependant pas aimer un roturier.

— Un roturier seul vous aimera.

— Quelle folie étrange !

— L’amour est notre richesse, à nous gens de rien qui ne possédons ni titres, ni châteaux, ni carrosses, ni diamants, ni petites maisons au faubourg.

— Comme tu dis cela ?

— Il faut nous en tenir à l’amour ; le plaisir est trop cher.

— Tu as donc un amoureux bien épris, bien tendre, bien fidèle !