Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/287

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et lui faisait porter la tête comme un oiseau ou comme une fleur.

Ce qu’il avait fallu de millions jetés au vent et de fortunes absorbées pour arriver à cette ardente maigreur, on pouvait le supputer dans les yeux dévorants illuminés de fantaisies impossibles qui animaient cette figure, dont le fard rougissait, sans l’altérer, la pâleur délicate.

Beaucoup de femmes ont eu le goût du luxe et des plaisirs ; la Guimard en avait le génie.

Les trois autres avaient ce teint de pastel fait d’un nuage rose et blanc veiné d’azur, cet œil en coulisse tout chargé de moquerie et de désir, ce nez irrégulier, ni grec, ni romain, plein de caprice et d’esprit ; cette bouche en cœur prête pour le baiser ou le sarcasme, ces fossettes où les Ris donnent l’hospitalité aux Amours, cette physionomie mobile, éveillée et piquante si bien en accord avec les mœurs, les arts et les modes du temps, et dont le type est aujourd’hui perdu.

Leur ajustement, de la plus charmante folie, plein de nœuds de rubans et de papillons, de pierreries et de fleurs, égayait les yeux par ses couleurs agréables et tendres, car, vu la saison, ces dames étaient en habit de printemps vert-pomme, rose et bleu de ciel ; la Guimard, seule, était en blanc, comme une vestale, sans doute par antiphrase ; il n’y avait de coloré dans toute sa personne que ses lèvres et le haut de ses pommettes.

Toute la lumière se concentrait sur elle et semblait la désigner comme reine de la fête.

M. Fragonard lui-même, s’il eût voulu faire un tableau de cette fête, n’eût pas autrement disposé les groupes et contrasté les nuances.

Certes, si l’on demandait à un jeune homme, et même à un homme d’âge mûr, s’il connaît un moyen plus agréable de tuer le temps que de faire un excel-