Aller au contenu

Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ridicule qu’il y a de ne pas mourir à soixante et dix ans, aurait renvoyé ses médecins et se remettrait à vivre ?

— Tais-toi, Cidalise, reprit une grande fille en taffetas vert-pomme glacé d’argent et qui faisait avec sa voisine un contraste parfait ; M. de Candale n’est point encore si bas percé qu’il en soit à soupirer après les héritages ; cet incomparable fils de famille mange à même sa légitime, et il a encore de quoi être aimé à l’Opéra pendant un lustre.

— Oh ! dit Cidalise, quand il n’aura plus d’argent on lui fera crédit et on l’aimera sur billets payables avec la dot de sa femme.

— Et moi, dit une blonde fort jolie en se penchant à l’oreille du vicomte avec un abandon voluptueux, je l’aimerai pour rien.

— C’est bien cher, Rosette, répondit Candale en donnant une petite tape amicale sur l’épaule nue et frémissante de la jeune femme. Je préférerais, je crois, dans une extrémité pareille, déclarer ma flamme à Cidalise en engageant mes héritages futurs sur papier timbré ; mais rassurez-vous, je ne suis pas beaucoup plus ruiné qu’à l’ordinaire, et j’ai toujours quelques milliers de louis en réserve pour les choses inutiles.

— Alors, qu’avez-vous donc, Candale ? dit la Guimard, intervenant dans la conversation ; vous êtes d’un morne inouï, et l’on ne vous reconnaît pas.

« Vous, d’habitude si vif aux reparties, vous donnez dans la gravité à faire peur, et vous vous tenez à ce souper comme quelqu’un de robe siégeant sur les fleurs de lis. Nous ne jugeons personne, mon cher.

— C’est vrai que ce pauvre Candale a la plus piteuse mine du monde et fait piètre contenance devant les flacons et les beautés, cria, de l’autre bout de la table, le marquis de Valnoir, qui se sentait déjà de ses nombreuses libations à Bacchus, et s’était