Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/293

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occupé de ses propres affaires, Candale et Rosette s’éclipsèrent.

Rosette, qui ne devait s’en aller que plus tard avec l’amie qui l’avait amenée, monta dans le vis-à-vis du vicomte de Candale.

Ce genre de char semble avoir été inventé par l’amour pour la facilité des aveux et des larcins galants ; beaucoup d’amants timides y ont dû au hasard d’un choc un bonheur qu’ils n’eussent point eu l’audace de demander.

Le pied rencontre le pied, le genou frôle le genou, les mains se touchent, les bouches et les joues viennent au-devant les unes des autres. Pour peu que l’énorme cocher, plus ivre que de coutume, coupe brusquement un ruisseau, peu de vertus sortent d’un vis-à-vis comme elles y sont entrées.

Rosette, comme on a pu le voir, n’était pas d’une vertu bien farouche et Candale ne péchait pas par un rigorisme outré ; en bien ! nous pouvons affirmer, ce qui ne paraîtrait croyable à personne, que, pendant le trajet, qui fut assez long, le cocher du vicomte étant trop spirituel pour pousser ses chevaux quand son maître était en vis-à-vis avec une jolie femme, Candale ne se permit pas la moindre liberté, bien que Rosette se penchât souvent vers lui et montrât son émotion par ses soupirs étouffés et le mouvement de sa gorge qui faisait trembler son bouquet.

Oui, ce fait, invraisemblable au dix-huitième siècle, se produisit ce soir-là.

Candale remit Rosette chez elle sans lui avoir pris un seul baiser, et la quitta après l’avoir saluée au seuil de son appartement.

Lorsqu’il fut remonté dans sa voiture, il dit en bâillant :

« Dieu ! que ces filles et ces soupers m’assomment ! Mais comment vais-je finir ma nuit ?