Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/295

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ment le coude aux dames, qui descendirent par le marchepied glissant avec une maladresse affectée, qui leur laissa le temps de faire voir aux gens attroupés à la porte une cheville bien tournée et un bas bien tendu.

Le bal était commencé, les fenêtres de la guinguette du Moulin-Rouge, vivement illuminées, montraient que les ordonnateurs de la fête, quoique bourgeois, n’avaient pas lésiné sur l’huile, fournie d’ailleurs par quelques-uns d’entre eux, qui exerçaient la noble profession d’épicier ; des tapissiers avaient apporté des banquettes et des festons de fleurs de papier, de sorte que la salle n’avait pas si mauvaise grâce qu’on eût pu se l’imaginer d’abord.

L’orchestre, grimpé sur un tréteau recouvert d’une housse passementée de paillon, occupait l’embrasure d’une porte dont on avait enlevé les battants : il se composait d’un violon, qui, après avoir raclé sa partie au spectacle d’Audinot ou des Grands Danseurs du roi, n’était pas fâché de gagner un petit écu de trois livres, dans le reste de sa nuit, à faire danser des bourrées et des rigodons ; d’un tambourin, qui marquait fortement la mesure pour la rappeler à des oreilles disposées à la mettre en oubli ; et d’une flûte, qui ne se permettait qu’un nombre suffisant de couacs.

Certes, M. Rameau, qui sait inventer de si savantes combinaisons musicales, eût pu trouver cet orchestre un peu maigre et barbare ; mais il suffisait de reste à ce qu’on exigeait de lui : il suppléait au nombre par le zèle ; le violon grattait les boyaux de son instrument avec furie, et faisait les démanchés les plus extravagants du monde, accompagnés de grimaces de possédé ; la flûte gonflait ses joues comme un suppôt d’Éole dans le ballet des vents, et soufflait dans son turlututu de manière à se rendre la face du plus beau cramoisi ; le tambourin, agitant ses bras en démo-