Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/303

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matelot qu’aux madrigaux étudiés des courtisans et des poètes de cour.

Il y a, dans certaines brutalités, quelque chose qui ne déplaît pas aux personnes les plus délicates, et Mme de Champrosé jouissait délicieusement des compliments adressés à Jeannette.

La grisette répondait à la marquise de la sincérité des galanteries du chevalier, du commandeur et de l’abbé.

Cependant, tourner des têtes de roturiers ne lui suffisait pas ; elle aurait voulu être touchée elle-même de caprice ou de passion, et ne pas borner son escapade à de simples rigodons dans une guinguette.

L’air modeste de la mariée, chez qui la pudeur modérait l’amour et qui cherchait à contenir l’ardeur de son jeune époux, dont les baisers bruyants, accueillis par les rires de l’assemblée, la faisaient rougir jusqu’au blanc des yeux, ramenait l’imagination de la marquise à des idées de bonheur simple et vrai comme la nature le dispense à ceux qui ne méconnaissent pas ses lois.

Elle songeait à cette main tordue par la goutte, dans laquelle elle avait mis sa main au sortir du couvent, à cette figure morne, ridée et froide du marquis de Champrosé, espèce de momie desséchée par l’ambition et la débauche, qu’elle avait trouvée si laide et si ridicule sans perruque, sous le baldaquin de son lit de noces, et elle ne pouvait pas s’empêcher de dire que la cousine de sa femme de chambre était mieux traitée par l’hymen qu’elle ne l’avait été elle-même.

Il est vrai que le marié n’avait pas soixante quartiers, mais il n’avait pas soixante hivers, ce qui est une compensation.

Pendant que la marquise faisait ces réflexions, en s’éventant de son éventail de papier vert avec une aisance qui eût pu la trahir à des yeux plus expéri-