Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/317

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— Pour cela, je m’en rapporte à l’avis de madame, qui s’y connaît mieux que moi ; et d’ailleurs ce jeune homme parlait trop bas et trop près de l’oreille de Mlle Jeannette pour que je l’entendisse.

— Penses-tu qu’il soit amoureux de moi ?

— Je crois que madame n’a pas besoin de mes lumières là-dessus.

— Il m’a dit des galanteries ; il m’a fait même une déclaration ; mais ce n’est point assez : je veux savoir s’il sent à mon endroit une de ces passions fortes et soutenues, comme tu dis que les roturiers en éprouvent.

— Autant que je puis me fier à mes faibles connaissances, M. Jean me semble avoir dans le cœur le germe d’un amour véritable.

— Le germe seulement ?

— Un peu de vertu et de résistance feraient de cela une de ces passions dont je parlais à madame, et qui n’existent point dans le grand monde.

— Justine, il me paraît que vous êtes un peu bien impertinente ; il semblerait, à ton dire, que nous autres, duchesses et marquises, nous n’ayons pas la défense qu’il faut dans les choses d’amour.

— On n’est pas grande dame pour se gêner en tout, et les règles de morale, faites pour les petites gens, n’ont rien qui doive gêner les personnes de qualité ; mais je voulais insinuer que c’était peut-être grâce à cela que les marquis, vicomtes et chevaliers ne sont amoureux que superficiellement.

— Ainsi donc, si je veux être aimé de M. Jean, tu me conseillerais la vertu ?

— Je n’aurais pas osé dire cela formellement à madame, de peur de lui paraître ridicule ; mais telle est mon idée.

— Quelle fille singulière tu fais, Justine ! tu as vraiment des imaginations de l’autre monde ; mais je m’y conformerai, ne fût-ce que pour voir.