Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/324

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de changer de robe et de coiffure, d’aller du composé au simple.

Grâce à l’habileté consommée de Justine, la métamorphose fut complète.

Il n’est peut-être pas si aisé que l’on croit de changer une marquise en grisette ; le contraire serait peut-être plus facile.

Aussi Justine a-t-elle avoué plus tard que cette toilette avait été son coup de génie, son œuvre suprême, et elle a dit que pas une des grandes toilettes de madame ne lui avait coûté de si vifs efforts de conception, et ne lui avait semblé plus impossible à exécuter.

Mme de Champrosé jeta un coup d’œil dans la glace, qu’elle n’avait pas regardée jusque-là, cédant à la prière de Justine qui lui avait demandé de ne point se mirer en détail, mais d’une seule fois pour jouir de la surprise du changement à vue.

La marquise fut à la fois étonnée et ravie ; elle se trouvait une beauté inconnue ; quoique plus charmante que jamais, elle se reconnaissait à peine : tout en elle était changé, jusqu’à la couleur des cheveux et du teint ; par l’absence de rouge et de poudre, l’air, l’expression n’étaient plus les mêmes ; au lieu de cette grâce piquante, de ce grand air, insolence de la beauté, elle avait une physionomie douce, modeste, virginale presque enfantine, car cette simplicité fraîche la rajeunissait de deux ou trois ans ; elle était une fois plus belle qu’au bal de la veille, où, vêtue des habits de Justine, elle avait nécessairement pris quelque chose de moins pur et de moins distingué, car les habits se moulent sur le caractère, et l’âme de ceux qui les portent leur font prendre certains plis, et Justine avait une âme de femme de chambre.

« Madame voit qu’elle peut perdre sa fortune sans risque pour sa beauté, et que ses charmes ne sont ni chez la marchande de modes, ni chez le bijoutier, dit