Aller au contenu

Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un air de parfaite intelligence, elle crut que sa surveillance devenait inutile et se retira discrètement pour laisser le champ libre à sa maîtresse.

Rien n’était plus charmant que ce groupe : on eût dit l’Amour déguisé en commis cherchant à faire la conquête de Psyché travestie en grisette.

En les voyant passer, les hommes disaient : Qu’elle est jolie ! Les femmes : Qu’il est bien fait ! c’est Cupidon, c’est Vénus !

Et chacun se souhaitait une telle maîtresse, chacune un tel amant.

La rue Saint-Martin, qui voit voltiger le long de ses boutiques tant de gentilles ouvrières et d’agréables coureurs d’aventures, semblait émerveillée de tant de grâces.

En effet, il était difficile de rêver quelque chose de plus charmant que Jeannette ; la venue de M. Jean, bien qu’elle l’attendît, avait fait épanouir spontanément sur ses joues deux bouquets de roses que Flore eût enviés pour sa corbeille ; un feu modeste animait ses prunelles bleues voilées sous de longs cils blonds, comme sous un éventail d’or, et son sein, agité par les battements de son cœur, soulevait le linon de son corsage.

Quant à M. Jean, il avait, sous ses habits simples et propres, un air de distinction à faire douter de la vertu de sa mère, car il était difficile de supposer qu’un pareil Adonis fût sorti d’une souche provinciale, et il fallait que quelqu’un du bel air, en passant par là, eût conté fleurette à Mme Jean.

C’était le raisonnement que se faisait Mme de Champrosé, persuadée de la roture de M. Jean.

Quant au lecteur, il ne s’étonnera pas de la bonne mine du jeune homme, en se rappelant l’ennui du vicomte de Candale au souper de la Guimard, sa froideur avec Rosette dans le vis-à-vis, et le caprice qui lui