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Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/337

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Sa maîtresse tenait en main un livre plutôt par contenance que pour s’occuper l’esprit, qu’elle avait suffisamment en éveil comme cela, car, pour une femme, les romans qu’elle fait sont plus amusants que ceux qu’elle lit, fussent-ils du citoyen de Genève, de M. Arouet de Voltaire ou de M. de Crébillon le fils.

La prévoyante Justine, qui avait arrangé en route une petite excuse pour rendre son absence un peu prolongée décente et plausible, n’en eut aucun besoin.

Mme de Champrosé ne s’était pas aperçue que Justine eût tardé si longtemps ; elle ne vit même pas l’œil brillant, la joue allumée de sa camériste, et sa coiffure un peu irrégulière, quoique rajustée, qui eût pu lui donner le soupçon que Justine n’avait point passé tout son temps à faire sentinelle ; et d’ailleurs la marquise, bonne et indulgente, ne s’en fût pas autrement formalisée, surtout en ce moment où elle avait besoin d’elle.

« Ah ! vous voilà, Justine, dit la marquise, en sortant de sa rêverie et avec un petit cri qui indiquait plutôt la surprise que l’attente.

— Je suis aux ordres de madame, répondit la soubrette en s’inclinant d’un air respectueux et contrit.

— Justine, défaites-moi, dit la marquise en s’abandonnant aux mains de sa femme de chambre.

— Ce sera bientôt fait, et j’ai là tout ce qu’il faut pour rajuster madame. »

L’habile Justine, en quelques tours de peigne, eut bientôt fait disparaître l’ouvrière en dentelles et remis Mme de Champrosé à la place de Jeannette.

Le déshabillé à mille raies, le fichu de linon, les bas de soie gris et les petits souliers à boucles disparurent comme par enchantement, pour laisser paraître les vêtements d’une personne de qualité qui ne veut pas tirer l’œil.

Ainsi accoutrée, Mme de Champrosé regagna, suivie