Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/357

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d’Apelle, des deux côtés d’une plaque de tôle qui brimballait au vent et qu’ombrageait une longue branche de pin ; mais l’hôtelier, peu sûr du talent de l’artiste, et se défiant de la fidélité de la représentation du Lapin blanc, avait jugé à propos d’établir dans une cage une enseigne parlante où les yeux les plus ignorants ne se pouvaient tromper.

Un énorme lapin blanc, aux oreilles démesurées, aux gros yeux vermeils, brochait des babines en broutant une carotte à côté de sa fallacieuse image, qu’on aurait pu prendre pour un cheval, un cerf ou un éléphant.

La façade du Lapin blanc était enluminée, comme le teint d’un buveur, d’une joyeuse couche de rouge qui indiquait aux desservants de la dive bouteille un temple ou tout au moins une chapelle de Bacchus.

Sur le toit de vieilles tuiles moussues où avaient fleuri quelques joubarbes se promenaient des pigeons de toutes couleurs, pauvres oiseaux de Vénus, ne prévoyant pas la crapaudine et les petits pois, et faisant l’amour comme si la broche ne tournait pas incessamment au rez-de-chaussée.

Les poulets montraient dans la cour la même insouciance, bien que quelque gâte-sauce, veste blanche au dos, en casque à mèche, coutelas au côté, sortit de temps à autre de la salle basse et en empoignât un par l’aile, malgré ses piaillements, car le cabaret était bien achalandé, et la vrille de fumée de sa cheminée, qu’on voyait monter en spirale bleuâtre sur un fond de verdure, ne s’arrêtait jamais.

Autour de la maison s’étendait des tonnelles en treillage formant cabinets, et toutes couvertes de houblon, de vigne vierge, de rosiers grimpants et de chèvrefeuille. C’était champêtre, rustique et galant au possible.

Les parfums des fleurs corrigeaient à propos les arômes culinaires, plus substantiels, mais moins suaves