Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/362

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— Réponds-moi franchement, Lafleur ; ton maître est chez lui ?

— Non, madame, il n’y est point.

— Tu es sûr qu’il ne se fait point céler ?

— S’il se faisait céler pour les fâcheux, il y serait pour madame. M. le vicomte de Candale nous donne pour consigne de laisser passer les jolies femmes, répondit le maraud, qui se piquait d’esprit et lisait quelquefois des romans dans les antichambres.

— Tu es galant, Lafleur, comme un valet de comédie. Voilà deux louis pour ton compliment.

« Tu dis que ton maître t’ordonne de laisser passer les jolies femmes… À moins cependant qu’il n’y en ait déjà une chez lui.

« N’est-ce pas qu’il y en a une ?

— Oh ! non, madame. Lorsque M. le vicomte est en affaire réglée, il va dans sa petite maison du faubourg.

— C’est juste, dit Rosette ; où avais-je l’esprit ?

— Faudra-t-il dire à M. le vicomte que madame est venue ?

— Oui, n’y manque pas.

— Madame… de quoi ? dit le valet avec un air malicieux, quoique plein de respect.

— Rosette tout court, ou, s’il te faut un titre, Rosette de l’Opéra, cela vaut un titre de duchesse.

— C’est bien, madame, je n’aurai garde de l’oublier, et je vais boire les deux louis à votre santé, avec mon ami Champagne. »

Rosette fit dire à son cocher de toucher vers le faubourg de…, où se cachait la petite maison du vicomte de Candale, qu’elle connaissait par les récits de ses compagnes, sans y être allée elle-même, hélas !

Ce n’est pas d’ordinaire en si brillant équipage qu’on se rend à ces mystérieux asiles, mais bien en carrosse uni, avec une livrée grise, empaquetée d’une vaste thérèse ou quelque voile rabattu sur la figure,