Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/375

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— En amour, peut-être ; mais pour le mariage ce n’est pas nécessaire. Il y a la force du sacrement, puis l’habitude ; les bons soins et les enfants font le reste.

« Oui, Jeannette, tel est l’entraînement de ma passion pour vous, que je vous épouserai, s’il le faut, malgré la distance qui sépare un droguiste établi d’une simple ouvrière en dentelles.

« Mes parents murmureront d’abord, on criera à la mésalliance dans la rue Sainte-Avoye, mais votre beauté triomphera de tout et fera comprendre ma résolution.

« Je mets, divine Jeannette, le Mortier d’argent à vos pieds avec son comptoir de chêne, ses balances luisantes, ses pots de porcelaine étiquetés, ses tablettes et ses casiers remplis de cochenille, de safran, de mastic, d’outremer, de sang-de-dragon, de bézoar, de gomme adragante, de sandaraque, de cinname, de benjoin et d’aromates de l’Inde, aussi précieux que l’or ; j’y ajoute les trois mille livres de rente qui me viennent du chef de ma mère, et ma maison de la rue Culture-Sainte-Catherine, qui est d’un beau rapport, et une pièce de vigne près d’Orléans, dont je fais un vin assez joli, sans compter les hardes, nippes et bijoux.

— Tout cela est très beau, répondit Mme  de Champrosé, peu émerveillée de cet inventaire persuasif qui eût dû éblouir Jeannette, et sur lequel le droguiste amoureux comptait comme sur le mouvement d’éloquence le plus irrésistible ; mais je ne puis donner les mains à un mariage qui vous mettrait mal avec vos parents.

— S’il n’y a que cet obstacle, je saurai bien l’aplanir, répondit le droguiste tout pâle d’émotion.

— Et auquel, continua Jeannette, malgré tous les avantages qu’il présente et l’honneur dont il me comblerait, je ne me sens nulle inclination.

— Si vous me refusez de la sorte, mademoiselle Jeannette, c’est que vous en aimez un autre.