Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/398

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mère, dit Mme de Champrosé, qui ne put s’empêcher de sourire intérieurement de la supposition de Candale, supposition beaucoup plus fondée qu’il ne se l’imaginait, et ne persistez pas dans cette demande qui ferait le malheur de votre vie.

— Nullement ; je prétends que nous serons heureux à faire enrager tout le monde.

— Comment, moi, pauvre ignorante, qui ne sais rien de la vie ni du monde, me pourrais-je conduire dans ces sphères brillantes, parmi tous ces hauts personnages, ces femmes altières qui me regarderont du haut de leur orgueil, et me feront sentir mon humble origine par des coups d’œil méprisants et des rires dédaigneux ?

— Tout le monde respectera une femme que je présenterai en la tenant par la main.

— Ne craignez-vous pas les brocards de la ville et de la cour ?

— D’abord, je ne crains personne : je suis jeune, libre, riche, et si quelque vieux gentillâtre, entiché des préjugés gothiques, me blâme de l’action la plus raisonnable de ma vie, j’aurai pour moi M. de Voltaire, le citoyen de Genève, Diderot et toute la clique encyclopédique, qui feront un bruit du diable en célébrant mon action comme digne d’un des sept sages de la Grèce.

J’en deviendrai tout populaire. Vous voyez donc, Jeannette, que toutes vos raisons ne valent rien, et vous serez bientôt la femme la plus recherchée et la plus à la mode de Paris.

Voulez-vous me donner, oui ou non, le bout de cette petite main blanche et frêle comme une main de marquise, pour que j’y passe la bague de M. Jean ? »

Jeannette, qui comprit que plus de résistance pourrait contrarier et rebuter le vicomte, les yeux baissés et les joues fardées de pudeur, tendit le doigt à l’an-