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Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/105

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VOYAGE EN ESPAGNE.

entendu parler qu’à Madrid de ce singulier raffinement. On sert aussi des spumas de chocolat, de café et autres ; ce sont des espèces de crèmes fouettées et glacées, d’une légèreté extrême, qu’on saupoudre quelquefois de cannelle râpée très-fine, le tout accompagné de barquilos, oublies roulées en longs cornets avec lesquels on prend sa bebida, comme avec un siphon, en aspirant lentement par l’un des bouts ; petit raffinement qui permet de savourer plus longtemps la fraîcheur du breuvage. Le café ne se prend pas dans des tasses, mais bien dans des verres ; au reste, il est d’un usage assez rare. Tous ces détails vous paraîtront peut-être fastidieux ; mais, si vous étiez comme nous exposés à une chaleur de 30 à 35 degrés, vous les trouveriez du plus grand intérêt. L’on voit beaucoup plus de femmes dans les cafés de Madrid que dans ceux de Paris, bien qu’on y fume la cigarette et même le cigare de la Havane. Les journaux qu’on y trouve le plus fréquemment sont l’Eco del Comercio, le Nacional et le Diario, qui indique les fêtes du jour, l’heure des messes et sermons, les degrés de chaleur, les chiens perdus, les jeunes paysannes qui veulent être nourrices sur place, les criadas qui cherchent une condition, etc., etc. ― Mais, voici qu’onze heures sonnent, il est temps de se retirer ; à peine quelques rares promeneurs attardés longent la rue d’Alcala. Il n’y a plus dans les rues que les serenos avec leur lanterne au bout d’une pique, leur manteau couleur de muraille, et leur cri mesuré ; vous n’entendez plus qu’un chœur de grillons qui chantent, dans leurs petites cages enjolivées de verroteries, leur complainte dissyllabique. À Madrid, l’on a le goût des grillons ; chaque maison a le sien suspendu à la fenêtre dans une cage miniature en bois ou en fil de fer ; l’on a aussi la bizarre passion des cailles que l’on garde dans des paniers d’osier à claire-voie, et qui varient agréablement par leur sempiternel piou-piou-piou le cri-cri des grillons. Comme dit Bilboquet, ceux qui aiment cette note-là doivent être contents.