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VOYAGE EN ESPAGNE.

la chance du bien, ordonna de briser les cadenas, de forcer les serrures et de lever le couvercle ; ceux qui se vantaient d’être les plus hardis descendirent les premiers, mais ils revinrent bientôt, leurs torches éteintes, tremblants, pâles, effarés, et ceux qui pouvaient parler racontèrent qu’ils avaient été effrayés par une épouvantable vision. Rodrigue, ne renonçant pas pour cela à rompre l’enchantement, fit disposer les torches de manière à ce que le vent qui sortait de la caverne ne pût les éteindre, se mit en tête de la troupe, et pénétra hardiment dans la grotte : il arriva bientôt à une chambre carrée d’une riche architecture, au milieu de laquelle il y avait une statue de bronze de haute stature et d’un aspect terrible. Cette statue avait les pieds posés sur une colonnes de trois coudées de haut, et tenait à la main une masse d’armes dont elle frappait le pavé à grands coups, ce qui produisait le bruit et le vent qui avaient causé tant de frayeur aux premiers entrés. Rodrigue, brave comme un Goth, résolu comme un chrétien qui a confiance en Dieu et ne s’étonne pas des enchantements des païens, alla droit au colosse et lui demanda la permission de visiter les merveilles qui se trouvaient là.

Le guerrier d’airain, en signe d’adhésion, cessa de frapper la terre de sa masse d’armes : l’on put reconnaître ce qu’il y avait dans la chambre, et l’on ne tarda pas à rencontrer un coffre sur le couvercle duquel était écrit : Celui qui m’ouvrira verra des merveilles. Voyant l’obéissance de la statue, les compagnons du roi, revenus de leur frayeur et encouragés par cette inscription de bon augure, apprêtaient déjà leurs manteaux et leurs poches pour les remplir d’or et de diamants ; mais l’on ne trouva dans le coffre qu’une toile roulée sur laquelle étaient peintes des troupes d’Arabes, les uns à pied, les autres à cheval, la tête ceinte de turbans, avec leurs boucliers et leurs lances, et une inscription dont le sens était : Celui qui arrivera jusqu’ici et ouvrira le coffre perdra l’Espagne, et sera vaincu par des nations semblables à celles-ci. Le roi Ro-