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VOYAGE EN ESPAGNE.

Notre curiosité satisfaite à l’endroit de Grenade et de ses monuments, à force de rencontrer à chaque bout de rue la perspective de la Sierra-Nevada, nous résolûmes de faire plus intime connaissance avec elle et de tenter une ascension sur le Mulhacen, le pic le plus élevé de la chaîne. Nos amis essayèrent d’abord de nous détourner de ce projet, qui ne laissait pas d’offrir quelque danger ; mais, lorsqu’on nous vit bien résolus, l’on nous indiqua un chasseur, nommé Alexandro Romero, comme connaissant la montagne à fond et capable de nous servir de guide. Il vint nous voir à notre casa de pupilos, et sa physionomie mâle et franche nous prévint tout de suite en sa faveur ; il portait un vieux gilet de velours, une ceinture de laine rouge, des guêtres de toile blanche comme celles des Valenciens, qui laissaient voir ses jambes sèches, nerveuses, tannées comme du cuir de Cordoue. Des alpargatas de corde tressée lui servaient de chaussure ; un petit chapeau andalou, roussi à force de coups de soleil, une carabine, une poire à poudre en sautoir, complétaient cet ajustement. Il se chargea des préparatifs de l’expédition, et promit de nous amener le lendemain, à trois heures, les quatre chevaux dont nous avions besoin, un pour mon compagnon de voyage, un autre pour moi, le troisième pour un jeune Allemand qui s’était joint à notre caravane, le quatrième pour notre domestique, préposé à la partie culinaire de l’expédition. Quant à Romero, il devait aller à pied. Nos provisions consistaient en jambon, poulets rôtis, chocolat, pain, citrons, sucre, et principalement en une grande bourse de cuir qu’on appelle bota, remplie d’excellent vin de Val-de-Peñas.

À l’heure dite, les chevaux étaient devant notre maison, et Romero faisait bélier à notre porte avec la crosse de sa carabine. Nous nous mîmes en selle encore mal éveillés, et notre cortège partit : notre guide nous précédait en coureur et nous indiquait le chemin. Quoiqu’il fît déjà jour, le soleil n’avait pas encore paru, et les ondulations