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tellement elles comprenaient qu’Annah venait d’une région supérieure, et n’avait rien de commun avec les autres enfants.

Comme la mort est jalouse, et ne peut souffrir la vue du bonheur, au lieu de prendre de pauvres paralytiques brisés par les ans, de misérables grabataires toussant et râlant dans les greniers, elle emporta un jour, sans raison, sans en avoir besoin, l’heureuse mère d’Annah, faisant ainsi d’un seul coup un triple désespoir. — La douleur d’Annah fut profonde, concentrée ; mais au bout de quelque temps elle parut, sinon se consoler, du moins avoir maîtrisé son chagrin : seulement elle restait des heures entières les yeux tournés en haut, et ne s’occupant pas plus de ce qui se passait autour d’elle, que la statue d’albâtre de la Mélancolie placée sur un tombeau.

Deux ans se passèrent. Annah devenait d’une beauté inquiétante, surhumaine, presque fatale ; sa peau, éclairée en dedans par son âme, avait une limpidité incroyable ; ses mains dépassaient en blancheur l’hostie et la cire vierge,