Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/11

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ces grossiers fanatiques ! Aux uns comme aux autres, je rends haine pour mépris, et le Juif qu’ils couvrent d’insultes et de crachats ne voudrait pas pour gendre du plus noble d’entre eux !… — Maintenant Bethsabée, retourne à la maison, et ne quitte pas Léa d’un instant… Aie l’œil au guet, l’oreille tendue… Défie-toi de tout, c’est le plus sûr… Va !

bethsabée. Maître, vos ordres seront fidèlement exécutés, bien que je ne partage pas vos alarmes…

Nathan. Fais ce que je te dis.

Bethsabée s’éloigne.




Scène VI.


NATHAN, puis MAURICE.

Nathan, rentrant dans sa boutique. Il m’en coûte de me séparer de ma fille ; de ne l’avoir plus là, près de moi, comme un sourire sur ma vieillesse, comme un rayon sur ma tête blanchie… mais il faut m’y résigner… L’époux que je lui destine est sage et prudent… Dans sa maison fermée aux profanes, elle sera comme sous les tentes d’Abraham et de Jacob…

Maurice, au fond. Il n’a point amené sa fille… Se douterait-il ?… heureusement, je me suis ménagé un moyen de correspondance… Tâchons de ne laisser rien paraître… Chaque fois que ce vieillard fixe sur moi les yeux, il me semble qu’il a tout deviné…

Nathan, l’apercevant, à part. Voilà le jeune Franc…

Maurice, l’abordant. Eh bien ! Nathan, le portefeuille que je t’ai commandé est-il fini ? Mon chiffre y a-t-il été brodé ainsi que je le désirais ?

Nathan. Nathan avait promis pour aujourd’hui, et Nathan tient toujours sa parole… Voici ce portefeuille.

Maurice, l’examinant. En vérité, il est charmant et vient fort à propos pour remplacer celui que j’ai perdu dans le dernier combat contre les Kabyles… Quelle légèreté ont ces arabesques ! Léa, pour la broderie, surpasse les fées en adresse !

Nathan. L’ouvrage pourrait être plus mal fait ; mais beaucoup d’autres femmes, dans Constantine, exécuteraient de pareilles broderies sans exciter ton admiration… Tu es trop louangeur pour la fille d’un obscur marchand, d’un pauvre juif…

Maurice, vivement. Dis plutôt de mon bienfaiteur, d’un homme à qui j’ai les plus grandes obligations !

Nathan. Des obligations ?… Dieu sait comment tu voudrais les reconnaître !

Maurice. Moi !… quelle est ta pensée ?

Nathan. Écoute, je t’ai rendu un service, oublie-le… sois ingrat par reconnaissance, et ne me fais pas repentir de t’avoir secouru. C’est vrai, je t’ai relevé, derrière ma maison, à demi mort, presque écrasé par l’écroulement d’un pan de mur, lors de la prise de la ville d’Akhmet-Bey… Tes gémissements, couverts par Je tumulte de l’assaut et le fracas de la fusillade, n’arrivaient pas jusqu’aux tiens, et tu serais mort là, à moitié enterré déjà, implorant en vain une goutte d’eau… Je suis venu ; j’ai, comme le bon Samaritain, versé l’huile et le baume sur tes blessures… Ma fille, qui connaît les antiques secrets des sciences de l’Orient, et les vertus des plantes auxquelles le soleil donne des forces réparatrices, a calmé la fièvre qui te dévorait… elle a fait envoler l’ange sombre, assis à ton chevet… Mais tu ne dois rien à ma fille… tu ne me dois rien à moi-même ; j’en eusse fait autant pour le premier venu… Appelle-moi chien, comme les autres, j’aime mieux cela… Traite-moi en ennemi, c’est tout ce que je te demande.

Maurice. Ah ! que dis-tu là ? jamais, au contraire, je ne pourrai te prouver assez ma gratitude, mon amitié !

Nathan. Dans ta patrie, je le sais, les Israélites, oublieux de la loi du Talmud, pactisent avec les Idolâtres ; mais ici, le Dieu de Moïse a des serviteurs plus fidèles, et il n’y a pas d’amitié possible entre un Chrétien et un Juif… (Tendant la main.) Ce portefeuille vaut trois douros.

Maurice. Les voici… Tu es vraiment cruel !…

Nathan. Maintenant, je t’ai dit ce que j’avais sur le cœur… Laisse-moi achever un travail qui presse.

Il se retire dans sa boutique et disparaît — Pendant cette scène et la précédente, le fond, du théâtre s’est peu à peu dégarni de monde ; on voit seulement, de temps à autre, passer quelques Arabes ou se former quelque groupe.




Scène VII.


MAURICE, KADIDJA, voilée.


Maurice. Homme impitoyable ! rien ne peut l’attendrir !… Hélas ! quels obstacles cet attachement à des préjugés de caste et de croyance ne doit-il pas apporter à mon amour pour Léa !… (S’éloignant de la boutique de Nathan.) Voyons si elle a glissé dans ce portefeuille le billet qui doit m’indiquer l’heure où nous pourrons nous voir…

Il cherche dans le portefeuille.

Kadidja, qui jusque-là s’est tenue aux