Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/13

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eussent été égorges… » et j’agis avec fermeté, tout en plaignant l’héroïsme déployé dans une résistance inutile… Détruire pour édifier, telle doit être la mission de l’armée nouvelle !

Bou Taleb Maudit Chrétien ! tu n’auras pas aussi bon marché de nous que tu le penses… Tu m’es connu, et je saurai te retrouver !

Saint-Aubin. Ainsi, grâce aux nobles idées qui vous soutiennent, dix-huit mois de nouveaux combats et de nouvelles fatigues ne vous ont point changé… je vous revois tel que vous étiez, content, heureux…

Maurice. Content, oui… heureux, ce serait trop dire… Mais, dans ce monde, qui ne désire pas quelque chose ?




LES MÊMES, DOMINIQUE[1].
DOMINIQUE, accourant

Mon lieutenant…

Maurice. Ah ! c’est toi, Dominique ? que me veux-tu ?

Dominique. Faites excuse si je viens vous déranger ; mais voici un ordre qu’on m’a dit de vous remettre, pour que vous ayez à vous tenir prêt…

Maurice De quoi s’agit-il ?

Dominique. Oh ! d’une promenade ! Nous escortons demain un convoi de munitions qui se dirige sur Philippeville… Mouvement de Bou Taleb. Il se lève, et traverse le théâtre en écoutant.

Saint-Aubin Sur Philippeville ?

Dominique. Oui… nous le conduisons jusqu’à El-Arouch… On sonnera le boute-selle au point du jour.

Maurice Demain… Pourvu que je puisse voir Léa !

Saint-Aubin. Parbleu ! voilà qui s’arrange à merveille ! Nous ferons route ensemble !

Maurice. Au fait, c’est vrai, nous voyagerons de compagnie. Je me réjouis de ce hasard !

Saint-Aubin. Et ne vous embarrassez d’aucun rafraîchissement ; j’aurai à la disposition de votre soif de certaines bouteilles drapées qui tiennent l’eau à la glace… Je cours faire mes préparatifs… Dites-moi, pouvez-vous me donner ce brave garçon pour guide ?

Maurice. Certainement, prenez-le.

Dominique Bon ! me voilà cornac !

Saint-Aubin. Allons ! sans adieu…

Maurice. À bientôt !

Bou-Taleb À bientôt, tu l’as dit… nous nous reverrons, je l’espère ! Il entre dans le café. Saint-Aubin et Dominique sortent par la droite.




Scène XI.


KADIDJA, MAURICE.


Maurice. Rentrons vite… J’ai peur que Bethsabée ne soit déjà passée, et que Léa ne m’attende…

Il remonte le théâtre.

Kadidja, l’arrêtant au moment où il va sortir. De grâce, un mot… écoute-moi, par pitié !…

Maurice. Que veux-tu ? de l’argent sans doute !… Tiens, prends, et laisse-moi continuer mon chemin…

Il s’éloigne rapidement.




Scène XII.


Kadidja, seule. De l’argent ! à moi fille noble d’une race libre !… Pour qui me prend-il donc ?… Ah ! ma fierté se révolte à cette idée ! Il s’est éloigné sans laisser tomber sur moi un regard… Il me méprise !… Que dis-je ?… il ne sait même pas si j’existe… son amour pour une autre l’absorbe tout entier !… Mais d’un mot je puis me venger, je vais le faire… oui, oui, sur-le-champ ! (Elle se dirige vers la boutique de Nathan.) Qui s’approche ?… mon frère !… Oh ! n’importe ! avant ce soir, le Juif saura tout !

Elle sort par le fond.



Scène XIII.


BEN AISSA, puis BOU TALEB.


Ben Aïssa, venant de droite. Malgré moi, mon amour me ramène ! Ô Léa ! Léa ! dans quel abîme m’entraînes-tu ?… Est-elle enfin venue ? (Après avoir jeté un coup d’œil dans la boutique de Nathan.) Non… personne encore !

Bou Taleb, sortant du café et courant à lui[2]. Allah, soit béni ! Je te rencontre enfin, Mohammed ! C’est toi que je cherchais.

Ben Aïssa, d’un air contraint. Que me veux-tu ?

Bou Taleb, avec mystère. Il se prépare des choses pour lesquelles nous aurons besoin de ton aide…

Ben Aïssa. Parle plus clairement.

Bou Taleb Une certaine fermentation règne dans les douars… Notre tribu médite une révolte contre les Français On n’at-

  1. Bou Taleb, Maurice, Saint-Aubin, Dominique.
  2. Bou Taleb, Ben Aïssa.