Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/19

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secours ! au secours !… (Montrant aux Serviteurs la chambre de Léa.) Par ici, par ici, courons !… Nathan, qui paraît sur le seuil[1]). Maître, nous avons entendu des cris… et je n’ose vous interroger… Léa, votre fille ?…

Nathan. Je n’ai plus de fille !

Kadidja, à part. Que dit-il ?

Bethsabée. Ciel ! ma chère maîtresse, mon enfant bien-aimée…

Nathan. Que l’on prenne le deuil… elle est morte !

Kadidja, de même. Oh ! je suis trop vengée !…



Deuxième Partie

La chambre de Léa. Porte d’entrée à droite, à gauche, une autre porte et une fenêtre grillée. La jeune fille est étendue au fond, sur un lit de parade, le visage caché par le voile mortuaire. À la tête du lit, une lampe allumée.




Scène PREMIÈRE.


NATHAN, DEUX RABBINS.


1er  rabbin, à Nathan, qui est assis à gauche Bien… bien, Nathan !… Tu supportes ce malheur avec une constance qui justifie le choix de tes frères.

Nathan. Oui, Dieu m a donné le courage.

2me  rabbin. Il soutient ceux qui marchent dans ses voies.

1er  rabbin. Pauvre enfant ! c’est sa mère qui l’appelait au ciel… sa mère, hélas ! morte comme elle à vingt ans !

Nathan. Seigneur ! seigneur !

1er  rabbin. Ah ! malgré ta résignation, tu souffres… Épargne-toi de tristes soins et de nouvelles douleurs… Laisse-nous remplir notre devoir de rabbins…

Nathan. Non… non… ce pieux devoir, je le remplirai moi-même…

1er  rabbin. Adieu donc… puisque telle est ta volonté, et que tu veux passer seul cette veillée lugubre… Nous n’avons plus rien à faire ici… La lampe funéraire est allumée… ce vase contient la myrrhe et le cinnamome dont on parfume la couche des morts, et voici le sac rempli de terre de Chanaan que l’on met sous leur tête…

2me  rabbin, déposant le sac sur les marches du lit. Puisse, sur ce chevet, Léa reposer en paix pendant l’éternité.

1er  rabbin. Quand tu auras accompli les rites nous reviendrons prendre le corps.

Nathan. Merci, mes amis, merci… Laissez-moi seul dans cette demeure que l’ange de désolation a visitée…

Les Rabbins sortent ; Nathan les regarde s’éloigner, puis se lève, et, après avoir fermé la porte avec précaution, s’approche du lit de parade.




Scène II.


LÉA, NATHAN.


Nathan, découvrant la figure de sa fille. Léa, relève-toi… Ils sont partis, et nul ne peut nous entendre…

Léa. Ô mon père ! que d’angoisses j’ai déjà souffertes !… Cet appareil funèbre me glace d’épouvante !

Nathan. Sentirais-tu faiblir ton courage ?

Léa. Non, non, ne craignez rien… je serai forte !

Nathan. Ce moyen est terrible… Moi-même, si coupable que tu sois, j’ai frémi d’horreur en cousant le linceul qui enveloppe un corps vivant… si je m’y suis résolu, c’est qu’il n’y avait pas d’autre manière de tout concilier… Notre loi veut que la fille qui a trahi sa religion et ses devoirs soit morte à jamais pour sa tribu, et qu’on lui élève un tombeau comme si elle avait réellement cessé de vivre… Mais malgré cette fiction, le nom de la répudiée n’en est pas moins flétri, et l’honneur de sa famille entaché ; la tribu seule est purifiée… Je n’ai pas eu le courage de vouer ta mémoire à l’infamie, de déclarer que ma race avait failli en toi… et par un mensonge coupable peut-être, que Dieu me le pardonne ! j’ai voulu à la fois sauver mon honneur public et t’épargner un opprobre éternel… Quand l’épreuve que tu t’es résignée à subir sera terminée… tu n’auras plus de père, je n’aurai plus de fille… nous serons désormais étrangers l’un à l’autre, et tu pourras aller, loin d’ici, cacher ta honte et ton amour !

Léa. Ô mon père, notre séparation ne sera pas éternelle, laissez-moi l’espérer… Nous nous reverrons en France, dans cette patrie des âmes libres, où tous les hommes sont égaux, où comme me l’a dit Maurice, l’amour et la charité les confondent dans une même religion…

Nathan. Je dois vivre et mourir parmi mes frères, avec mes vieilles croyances.

Léa. Si vous connaissiez Maurice, si vous saviez quel noble esprit, quel cœur généreux…

Nathan, l’interrompant. Assez ! Il ne peut y avoir rien de commun entre moi et cet homme… J’abhore les Chrétiens, et celui-là plus que tous les autres.

Léa. Que vous êtes cruel !

  1. Kadidja, Serviteurs, Bethsabée, Nathan.