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LES MÊMES, BEN AÏSSA.

[1]


Ben Aïssa. Qu’as-tu a parler à cet homme ? quel motif t’a amenée près de lui ?…

Kadidja Aucun… si ce n’est la pitié… je lui disais…

Ben Aïssa, l’interrompant brusquement. Tu lui disais ?… (À part, se retenant.) Mais je n’ai pas le droit de l’accuser… (Haut.) Allons, retire-toi… ta place n’est pas ici…

Maurice, à part. Noble cœur ! je ne puis même te remercier d’un regard !

Kadidja, de même, en sortant. Mon Dieu ! consentira-t-il maintenant ?

Ben Aïssa, la regardant s’éloigner. Elle aussi lui conseillait sans doute d’éviter le supplice !… — Bou Taleb ! enfin !




Scène VII.


BEN AÏSSA, BOU TALEB, MAURICE, kabyles.


Bou Taleb, à part, voyant Ben Aïssa. Il était là, guettant sa proie. (S’approchant de Maurice.) En bien ! qu’as-tu décidé ?

Maurice. Que je n’attendrais pas plus long-temps ; car mes compagnons pourraient croire que j’hésite devant la mort !

Ben Aïssa, à part. Il est à moi !

Bou Taleb. Soit… — Avant une heure vos têtes tomberont !

Maurice. Du moins elles ne se seront pas courbées devant toi !… Nous périrons ; mais d’autres viendront après nous, et notre sang leur marquera la route… La France a mis le pied sur le sol africain pour en chasser la barbarie, et à la face de l’univers, elle accomplira sa noble tâche ! vous pourrez retarder sa marche un instant, mais Dieu la protége, et vous n’empêcherez pas son triomphe !

Il sort reconduit par des Kabyles. Ben Aïssa s’éloigne, après l’avoir un moment suivi des yeux.

Bou Taleb, à lui-même. Quel éclat surnaturel dans son regard ! quelle conviction dans sa parole ! Prophétiserait-il juste ? Ceux qui vont mourir ont parfois des lueurs qui éclairent pour eux les événements futur… Ce qu’il a dit m’a troublé… Allons, chassons ces idées funestes… (Haut.) Que la fête destinée à célébrer notre victoire sur les Français commence à l’instant même…




Scène VIII.


BOU TALEB, Kabyles, Danseuses, etc.

Les principaux Kabyles viennent faire des salamalecs devant Bou Taleb, qui s’est assis sous un arbre, puis prennent place à ses côtés ; les autres vont s’accroupir en cercle et par groupes de chaque côté du théâtre ; — pendant le divertissement, qui a lieu ensuite, des Nègres servent aux assistants du café, des rafraîchissements et des pipes ; — les danses terminées, Bou Taleb se lève.


Bou Taleb. Le jour finit… Vrais croyants, prosternez-vous et priez !

Tout le monde s’agenouille ; les Danseuses s’éloignent. Musique religieuse à l’orchestre.

Il n’est pas d’autre dieu que Dieu,
Et Mohammed est son prophète !
La mer lui chante un chant de fête ;
Les soleils, en lettres de feu,
Tracent son nom sur le ciel bleu,
Et la terre humblement répète :
Il n’est pas d’autre dieu que Dieu,
Et Mohammed est son prophète !

Après avoir prié bas un instant :

Que chacun se retire sous sa tente, et soit prêt à partir au premier signal… (À lui-même, pendant que la foule se disperse.) bientôt sans doute les Français viendront pour venger leur défaite… Demain, avant le lever du soleil, il faut que nous ayons mis la montagne entre eux et nous !




Scène IX.


KADIDJA, BOU TALEB.


Bou Taleb, au moment de sortir, apercevant Kadidja, qui se glisse entre les arbres. Qui donc s’avance là, dans l’ombre ?… (Il va vers elle.) Femme, qui es-tu ? que cherches-tu ?

kadidja, à part. Ciel ! Bou Taleb !… (Haut.) Laisse-moi !

Bou Taleb. Kadidja !… Allah soit béni de t’amener sur mon passage ! car toujours tu m’évites, tu me fuis, comme si tu craignais de m’entendre parler de mon amour… Et pourtant jamais flamme plus ardente n’a dévoré le cœur d’un homme !

Kadidja, préoccupée. Mon frère, à qui je dois obéissance, m’a défendu de te parler et de t’écouter… Je crains qu’il ne nous surprenne ensemble.

Bou Taleb. Oui, je sais que ton frère, depuis qu’il paraît oublier ses devoirs n’a plus que de l’aversion pour moi… Je suis sa conscience vivante, et il cherche à m’éloigner de lui…

Kadidja. Un tel langage…

Bou Taleb. Oh ! je me comprends. Mais toi, qui n’as point à rougir devant moi, tu ne partages pas sa haine… tu m’aimes… tu es libre, et, si tu veux, cette nuit même nous serons unis…

Kadidja, vivement. Non, non c’est impossible !

  1. Kadidja, Ben Aïssa, Maurice