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m’envoie une âme, se disait à lui-même George en amenant la petite Zirma ; c’est une charité à faire, et je le fais avec l’espérance que Dieu me rendra mon Armande disparue, mon Armande enlevée.

Restait Alexandrine ; comment recevrait elle cette enfant ? George s’attendait à une scène. Un soir, c’était au souper. La porte de la chambre s’ouvre et Alexandrine, en longue robe noire, les cheveux bouclées, les joues parcheminées, des rides partout et des fils d’argent aux tempes, entre lentement. Ses yeux, naguère si vifs, ont perdu de leur expression. Ils tournent, sans rayons pour ainsi dire, dans leurs orbites qui semblent trop étroit pour les contenir ; flambeaux éteints qu’on n’a plus l’espoir de rallumer, si ce n’est par un prodige, par un de ces grands coups portés par l’auteur du monde, et qui sont un effet de sa bonté. À la vue de l’enfant, elle s’arrête et une légère teinte rosée donne à sa joue un peu de vie.

Le cœur a donc battu plus fortement, les fibres du cœur se sont émus en présence de cette enfant hâve, vrai portrait de la misère rendue à l’extrême nudité.

Elle s’approche avec une démarche automatique. Pas un mot ne remue ses lèvres blêmes et entr’ouvertes. — Est-ce toi, Armande, qui me regarde ainsi et ne vient pas dans mes bras ? Pauvre enfant, comme tu as été longtemps absente. C’est plus long qu’un rêve que cet long espace écoulé entre ton enlèvement et ta venue. Viens, mon ange, dans mes bras privés de toi. Je te porterai contre mon sein avec tant de force, qu’ils ne pourront plus t’enlever de là qu’avec ma vie. Viens. — Et l’enfant se laissait presser par cette mère de douleur, sans crainte, sans parler.