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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/114

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Apparemment, le carnaval était trop court, cette année, et on n’a pas voulu, pour si peu, faire la dépense du domino classique.

Quant aux bals de l’Opéra, je ne vois rien de nouveau à signaler. — Les costumes, les danses, les danseurs et les danseuses me semblent si exactement les mêmes, qu’on dirait que tout ce monde, endormi pendant dix ans par la baguette d’un enchanteur, s’est réveillé hier au bruit de l’orchestre.

Il n’a plus été question de la restauration des bals parés tentée l’année dernière. Le chicard et le paillasse ont repris, sans contestation, possession de leur empire. Les vociférations règnent toujours là où on avait voulu ramener les fines causeries du foyer.

Cette année, en fait de fines causeries, voici ce que j’ai recueilli :

Un malin à une bergère :

« Je viens de la maison. — T’as donc pris tout l’argent et ma montre ?

— Eh bien, faut’il pas que je me fasse religieuse ? Tu me laisses seule comme un clou ; — je peux bien m’amuser aussi, moi… na !

— Nastasie, c’est malpropre, ce que tu fais là ! Rends-moi ma montre…

— Elle reviendra à Pâques ou à la Trinité, comme M. de Malbrouk.

— C’est bon ! si tu ne me la rends, tu verras quelle trempée !

— T’as pas besoin de montre pour aller avec des pierreuses… Avec ça que tu m’épouses souvent, comme tu me l’avais juré ! »

Ici, les interlocuteurs sont séparés par un tourbillon de masques ; — chacun s’en va de son côté, sans que le dialogue ait paru laisser sur les intéressés une vive impression ; le malin, descendu dans la salle, se fend comme un compas en entourant la taille d’une pierrette. — La bergère provoque les hommes à la galanterie par cette interpellation : « Il n’y a donc que des guillotinés dans ce bal-là ? — Alors je vas souper avec le bourreau. »

Vers trois heures du matin, deux hommes en habit noir s’abordèrent :

« Bonjour, monsieur Grignon.

— Bonjour, monsieur Dupuis. — Vous avez donc planté là votre étude pour venir faire carnaval à Paris ?

— Et vous votre fabrique dans le même dessein !

— Ma foi, oui. — J’ai dit que je venais aux achats. — Voyez-vous, je raffole du carnaval. — Vous comprenez, quand on n’a jamais