— Monsieur, prenez ma tête ; mais vous n’obtiendrez pas trois mois de plus. Je vous fais déjà cadeau de six semaines, pour vous être agréable.
— Tenez, madame, je mets d’office vingt-neuf ans ; — je vous sauve le trois, — par galanterie. — Si vous vous trouvez lésée, vous pourrez réclamer à la préfecture, votre extrait de naissance à la main. »
La dame s’apaise subitement en entendant parler d’extrait de naissance.
L’interrogatoire continue.
« Votre profession, madame ?
— Célibataire.
— Madame, ce n’est pas là une profession ; c’est une situation.
— Alors… rentière.
— Voyons, madame, pas de farce… Vous êtes ici en garni. De quoi vivez-vous ?
— Ah ! c’est là ce que vous voulez savoir ? Eh bien, je suis… artiste dramatique. »
Ici, l’employé dépose sur la table sa plume, ses lunettes, son mouchoir et sa tabatière, et, s’appuyant sur les deux coudes, entreprend de la voix paternelle d’un confesseur le speech suivant :
« Madame, l’opération du recensement est sérieuse ; — elle a pour but de donner à l’administration les éléments d’une classification des habitants de la ville de Paris. — La profession surtout est d’un haut intérêt statistique ; je vous engage à être sincère. — Vous vous dites actrice dramatique : où avez-vous joué ?
— Partout, monsieur… partout… excepté, je l’avoue, au Théâtre-Français, où les sociétaires sont trop jaloux pour laisser les jeunes talents.
— Pourriez-vous, madame, me montrer votre dernier engagement ?
— Certainement, monsieur. — Tiens, je n’y pensais pas ! — Voici, monsieur, mon dernier traité avec M. Charles Desnoyers, le directeur de l’Ambégu-Comique. »
L’employé prend ce document imprimé et lit à haute voix :
« Entre M. Charles Desnoyers, directeur privilégié du théâtre de l’Ambigu-Comique, et Mme Françoise Merluchet, dite de Saint-Ange, artiste dramatique, il a été convenu ce qui suit :
« M. Charles Desnoyers engage Mme de Saint-Ange pour remplir, à la première réquisition, tous les rôles qui conviennent à son physique et à son talent, et notamment les rôles dits de grande tenue. »